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Nathalie Delattre : « il est indispensable que l’État vienne au secours de la filière vin » (3/5)

Écosystème
mercredi 17 février 2021

Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde, porte la voix des vignobles français. Crédit : Sénat

Nathalie Delattre, vice-présidente du sénat, viticultrice à Langoiran et co-présidente de l’Association Nationale des Élus de la Vigne et du Vin dresse les grands enjeux à relever pour la filière viticole et le vignoble bordelais. Troisième volet de notre enquête consacrée aux vins de Bordeaux en mal d'amour.

Courant 2020, la situation de crise a-t-elle-rebattu des cartes dans la commercialisation et la distribution des produits ?
Les restaurants, bars et cafés, partenaires privilégiés des producteurs viticoles sont fermés depuis plusieurs mois ; cela représente des pertes énormes pour le secteur. S’y s’ajoutent celles provoquées par l’annulation des salons et marchés et le ralentissement des exportations. Face à cette situation, les producteurs et les négociants présents dans la grande distribution ont forcément tiré leur épingle du jeu puisque les grandes surfaces sont la seule voie de commercialisation du vin qui n’a pas connu de sérieuse perturbation en 2020. Par ailleurs, cette situation a donné un coup d’accélérateur à la vente en ligne. Sans contact direct avec les acheteurs, nombreux sont les viticulteurs qui ont développé leur activité de vente en ligne en 2020 pour compenser la disparition des autres canaux de distribution.

Les aides proposées aux viticulteurs sont-elles suffisantes ?
Malheureusement non. Les exonérations de charges vont permettre de soulager la pression pesant sur les finances des exploitations mais ne répondent pas directement aux pertes de revenus engendrés par la crise actuelle ou la taxe Trump. Les soutiens à la conversion agroécologique sont évidemment bienvenus, mais ils ne sont que des accompagnements à l’investissement. Or, dans la situation actuelle, peu nombreux sont les viticulteurs désireux d’investir dans leurs exploitations ; la priorité est à la survie à court terme et non aux investissements à long terme.

La taxe Trump a-t-elle beaucoup impacté les exportations ? 
Les professionnels estiment les pertes en 2020 à 600 M€, et ils craignent des pertes d’environ 1 milliard d’euros en 2021. Le changement de présidence aux Etats-Unis nous permet d’espérer une amélioration des relations commerciales avec l’Union européenne. Néanmoins rien n’est garanti à ce jour. A la suite de l’extension de cette surtaxe en janvier, l’ANEV a à nouveau sollicité Bruxelles et le gouvernement pour que soit mis en place un fonds de compensation au bénéfice des entreprises touchées par cette surtaxe. Par ailleurs, nous appelons la Commission européenne à décréter un moratoire sur les sanctions commerciales européennes et américaines, afin de travailler le plus rapidement possible à la désescalade de ce conflit.

Le Brexit devrait-il se traduire par une perte de marchés vers le Royaume-Uni ? 
Il n’y a pas pour l’instant de droits de douane supplémentaires. Mais la sortie du Royaume-Uni de l’UE entraine une surcharge administrative pour les exportateurs, qui ralentit mécaniquement les exportations. Par ailleurs, il n’y pas encore de régime clair sur la protection des indications géographiques, qui sont un élément important du commerce des vins et spiritueux. Nous sommes donc dans l’expectative, mais soulagés que le Brexit ne se soit pas soldé par un « no deal » qui aurait eu des conséquences directes comme des quotas ou des droits de douanes additionnels.

De façon plus structurelle, à quelles autres difficultés est confrontée la filière ? Elles sont multiples : le non-renouvellement de la population vigneronne qui a pour conséquence une augmentation des ventes de propriétés à des investisseurs étrangers et à de grands groupes. De même, le métier d’ouvrier agricole perd en attractivité, donc il est de plus en plus difficile de trouver de la main d’œuvre. Les attentes sociétales représentent une autre difficulté, mais aussi un vecteur d’amélioration et d’innovation, puisque c’est pour y répondre que la viticulture a entamé sa transition agroécologique à grande vitesse. On constate une évolution des pratiques, avec moins de produits phytosanitaires, plus de travail du sol mécanique, et un renouveau de certaines pratiques abandonnées.

L’émergence et la concurrence de vins étrangers sont-elles un des grands défis à relever ? 
Tout d’abord, la baisse de la consommation domestique est aussi un défi, puisque les français n’ont jamais consommé aussi peu de vin. Cela nous encourage à trouver de nouveaux marchés, et à faire évoluer notre production (….) Enfin, on peut constater dans les rayons des grandes surfaces la multiplication des références étrangères, qui ont déjà pris la place de certains vins français. Il n’est pas certain que la France puisse regagner ces parts de marché, sur lesquelles la concurrence bénéficie de conditions particulièrement déséquilibrées (deux récoltes dans l’année, irrigation, main d’œuvre moins chère…) lui permettant de proposer des prix très bas.

Le Bordeaux bashing mené depuis plus dix ans a-t-il eu beaucoup d’impact ? Il a forcément eu un impact sur les ventes. Subir un tel flot de critiques a des conséquences pour l’image du vignoble bordelais. Et certaines d’entre elles n’étaient pas toujours infondées. Il y a peut-être eu à Bordeaux une tendance à se reposer sur nos acquis par le passé. Mais il est désormais venu le temps de répondre à ces critiques. Bordeaux a fait un travail faramineux pour faire évoluer ses pratiques, proposer de nouveaux profils de vins, mieux adaptés à la demande du consommateur, le tout dans le respect de la tradition et de pratiques ancestrales. Nous avons des objectifs ambitieux en matière de transition agroécologique, nous innovons sur la vinification, nous nous adaptons pour la commercialisation. Il faut que cela se sache !

Quels sont les enjeux prioritaires afin de reconquérir les consommateurs ou des marchés ?
A ce jour, l’enjeu principal est de survivre à la terrible crise que nous traversons. S’il n’y a plus de viticulteurs, il n’y aura plus de consommateurs ou de marchés à reconquérir. Il est donc indispensable que l’Etat vienne au secours de notre secteur. Les 300 à 400 M€ mobilisés par le gouvernement ne sont pas à la hauteur de ce qu’apporte la viticulture à la France. Les vins et spiritueux représentent le deuxième excédent dans la balance commerciale française, avec plus de 12 milliards d’€ par an d’excédent commercial avant la crise. Une fois cette crise passée, viendra le temps de la reconquête. Et cela va passer par une connaissance fine des marchés étrangers, dont la filière vin peut parfois manquer, mais aussi par un travail sur l’image de la vigne et du vin, qui ne peut qu’aller de pair avec un travail de fond sur nos pratiques. 

Retrouvez dès jeudi le quatrième volet de notre série : Vins de Bordeaux : la bataille de l’image

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