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Florian - Cazenave, la fable du mariage heureux (1/6)

Écosystème
vendredi 11 septembre 2020

Nicolas Florian et Thomas Cazenave, le 12 juin. (Photo: Sébastien ORTOLA/REA)

L’alliance de Nicolas Florian et Thomas Cazenave, vendue comme la solution miracle à la victoire, a révulsé bien des électeurs de droite mais aussi certains fidèles marcheurs.

Cet article est le premier volet d'une enquête exclusive sur le second tour des municipales à Bordeaux, marqué par la victoire surprise du camp Hurmic.

Ne pas perdre la mairie de Bordeaux. Ne surtout pas risquer de rester dans l’histoire locale comme celui qui a livré à la gauche cette ville, si solidement arrimée à la droite pendant plus de sept décennies. Durant toute la campagne électorale, ces considérations ont hanté le maire (LR) sortant Nicolas Florian. Elles l’ont tétanisé et expliquent pour une large part l’alliance de second tour que le successeur d’Alain Juppé a noué avec Thomas Cazenave. La pression est alors si forte que Nicolas Florian est prêt à oublier ce que le Marcheur lui a fait subir tout au long de la première phase de l’élection : les invectives, le flingage en règle de son bilan, le procès en incompétence, les trahisons...

À la sortie du confinement, Nicolas Florian prend donc contact avec Thomas Cazenave et lui propose une rencontre. Le 25 mai 2020, dans le plus grand secret, les deux hommes se retrouvent seuls dans une échoppe du quartier huppé Saint-Genès, côté Talence. Selon la version officielle délivrée aujourd’hui par l’un comme l’autre, ce premier tête-à-tête s’est déroulé sans anicroche.

Pourtant, plusieurs personnalités politiques bordelaises en vue contestent cette belle histoire. Sous couvert de strict anonymat l’une d’elles qui affirme s’appuyer sur des indiscrétions, livre à « Placéco » un tout autre récit : « Florian a refusé les exigences exorbitantes de Cazenave. Des insultes ont fusé.

On se pince pour y croire mais un cacique local de LR l’assure : « Oui, ils se sont insultés. Oui, les portes ont claqué. Mais les ponts n’ont pas été rompus ». Un proche de Thomas Cazenave évoque avoir seulement eu vent « d’un échange très viril ». Patrick Espagnol, l’ex-directeur de campagne de Nicolas Florian qui accepte pour sa part de parler à visage découvert, croit savoir que l’entrevue « a viré à l’échange de quolibets ». L’ancien haut fonctionnaire de police ajoute qu’il n’a pas été surpris par le ton vindicatif prêté à Thomas Cazenave. « Derrière un aspect très affable, il est sanguin dans son comportement, très réactif et très sec ». Ce que conteste la porte-parole des Marcheurs Edwige Fondevila : « Thomas n’est absolument pas comme ça ».

Intervention de Paris

Plus tonitruante est la réaction des deux protagonistes eux-mêmes. Ils démentent très vigoureusement - on s’en doute - chaque élément de cet épisode que l’on croirait tout droit sorti de la série à succès Baron Noir. « C’est du pipeau intégral répandu par des affabulateurs ! », juge Nicolas Florian. « Jamais cela ne s’est passé ! Ce sont des gens mal intentionnés, de mauvaises langues qui racontent ça pour exister », ajoute Thomas Cazenave.

Notre discret interlocuteur reprend son propos : « La seule manière de sortir de cette impasse était que Paris s’en mêle. Le lendemain, le Premier ministre Edouard Philippe a donc eu un entretien houleux avec le maire ». Edwige Fondevila admet que plusieurs conversations téléphoniques ont effectivement eu lieu avec Alain Juppé et Edouard Philippe. De son côté, Pierre de Gaëtan Njikam, vice-président de LR Gironde, le souligne : « Alain Juppé et Edouard Philippe ont, à ce moment-là, très fortement poussé à l’union ».

Dans ce contexte de pression, les duellistes finissent par convenir de se revoir à nouveau. Et, après deux rendez-vous - toujours discrets - parviennent à un accord. Pour le Marcheur, c’est le jackpot intégral ! Il décroche 13 places éligibles dont 6 postes d’adjoints. « Ce n’est pas le résultat d’un rapport de force, c’est l’arithmétique du premier tour », se défend Thomas Cazenave. Le maire sortant consent même à ce que les Marcheurs puissent constituer un groupe autonome au conseil municipal. Quoi d’autre ? Thomas Cazenave réussit à faire enterrer la « Rue bordelaise », un projet urbanistique pharaonique à 500 millions d’euros dans le quartier de la gare, soutenu bec et ongle par l’équipe sortante. La seule revendication que le Marcheur ne décroche pas est de taille : la présidence de Bordeaux Métropole.

Entre les nouveaux alliés, la confiance règne très modérément. La preuve ? Thomas Cazenave réclame que chaque élément négocié figure explicitement dans un document écrit. Ce protocole secret - les deux parties refusent toujours de le rendre public - est signé le 1er juin au domicile du maire. « Nicolas Florian a accepté de payé cher, trop cher, parce qu’il était fébrile », commente a posteriori Ludovic Martinez. « Quand on veut gagner, il faut faire des concessions », rétorque le principal concerné.

Une purge douloureuse 

Reste alors au sortant à éliminer 13 membres de sa liste. La purge est douloureuse et va laisser des plaies béantes. Il y a ceux qui acceptent stoïquement de céder leur place à un macroniste et ceux qui crient à l’infamie. Parmi ces derniers, l’adjointe (Agir) Laurence Dessertine. Son mari - il s’agit de l’économiste médiatique Philippe Dessertine - alerte ses relations. Le résultat est immédiat. Le ministre de la Culture Franck Riester, puis le président du MoDem François Bayrou prient instamment Nicolas Florian de revenir sur sa décision. En vain, le sort de l’élue du centre-ville, par ailleurs présidente de l’Opéra, est irrévocablement scellé.

La charrette des condamnés passe d’autant moins inaperçue que la plupart des sacrifiés sont des maires de quartier dont le réseau est tout sauf négligeable. « Je ne lui pardonne pas d’avoir viré treize de mes amis », fulmine encore aujourd’hui Pierre Lothaire, ex-adjoint (LR) de Caudéran. « Le fait d’avoir dégagé tous les maires de quartier, restera comme la grande erreur de Florian », renchérit Anne-Marie Cazalet, elle-même ancienne adjointe (ex-LR) du secteur Chartrons/Grand-Parc. « Les 1600 voix qui lui manquent au second tour sont évidemment celles des maires de quartier qu’il a virés. Il porte la totale responsabilité de son échec », observe Jean-Louis David, adjoint (ex-LR) à la sécurité jusque fin 2019, date à laquelle il est parti chez Thomas Cazenave. Face à ce torpillage en règle, Ludovic Martinez rétorque au lance-flammes : « Dans les recalés, il y avait des gens incompétents. Je fais grâce à certains d’entre eux de ne pas détailler leur vacuité ». 

Quoi qu’il en soit, dans les rangs même du staff de campagne, l’alliance est très mal accueillie. « J’étais contre ce rapprochement. Je ne m’y suis ralliée que par loyauté», affirme Alexandra Siarri. « J’ai dit dès le début que cette alliance de circonstance ne nous serait pas favorable », ajoute Patrick Espagnol. Pour plusieurs responsables locaux de LR, l’union arrive trop tard pour être payante. « Avant le premier tour, j’ai plaidé sans succès pour une stratégie d’alliance à la Toulousaine », se souvient ainsi Pierre de Gaëtan Njikam, vice-président de LR. Dans la partie la plus conservatrice des militants et de l’électorat de la ville, le mariage tardif avec le macroniste Thomas Cazenave est ressenti comme une trahison. Dès qu’il est connu, des figures tutélaires de LR se déchaînent. A 90 ans, l’ancien ministre de la Recherche Jacques Valade, chabaniste de toujours, prévient l’entourage de Nicolas Florian : « Votre liste n’a pas de couilles ! Je ne voterai pas pour vous ». Une ex-conseillère municipale (LR) l’avoue : « Pour la première fois de ma vie, j’ai voté contre mon camp, en glissant un bulletin nul le 28 juin. Il n’était pas question que je vote pour cet attelage contre nature !» Une autre juppéiste ajoute : « Pas question de se coucher devant Cazenave ».

Un mariage sans fondement 

Deux mois après la défaite, les mêmes reproches ne cessent de tourner. Hugues Martin, maire (UMP) de Bordeaux de 2004 à 2006, est toujours aussi remonté. « Ce n’était pas une alliance mais un oukase. Si Nicolas Florian avait eu une colonne vertébrale, il l’aurait refusée ! » Même chose pour Anne-Marie Cazalet qui tonne : « Ils se sont crachés à la gueule pendant toute la campagne de premier tour et annoncent leur mariage quelques jours avant le second, ce n’était pas crédible ! Ce mariage n’avait aucun fondement, même pas celui de la raison ».

Les Marcheurs, eux, n’étaient guère plus enthousiasmés par ce rapprochement de dernière minute. « La coalition » (c’est le terme employé par LREM) est même très mal passée auprès des militants dont certains ne voulaient pas faire campagne pour un maire de droite. Ceux qui se souviennent que Thomas Cazenave leur avaient clairement promis que jamais – ô grand jamais - il ne s’allierait à Nicolas Florian, se sentent trahis. « On savait que cette coalition serait en partie incomprise chez nous et qu’on ne se ferait pas des amis », reconnaît Tanguy Bernard. Résultat ? « Nous avons perdu des militants à ce moment-là », prolonge Edwige Fondevila. Les troupiers n’ont pas été seuls à s’étrangler. Dans l’état-major aussi, les divisions se sont étalées au grand jour. Le professeur de médecine Antoine Tabarin, numéro 3 de la liste Cazenave, a claqué la porte de la campagne, refusant de figurer sur la liste commune.

Au final, la miraculeuse addition des voix théorisée par Alain Juppé s’est transformée, le 28 juin 2020, en une violente soustraction. Quant au mariage prévu pour se prolonger six ans, il n’aura pas duré plus d’un mois.

Cette série se poursuivra tout au long de la semaine. Prochains articles : 

Cette affiche qui a écœuré la droite
Comment ils s’étaient déjà répartis les postes
Ce sondage qui a sonné l’heure de la démobilisation générale 
Municipales : l’ombre portée d’Alain Juppé


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