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Comment l’agriculture investit la ville ? (1/5)

Écosystème
mardi 13 avril 2021

Implantée dans les sous-sols d'une résidence à Floirac, la Cave agricole de la société Cyclophonics assure d'ores et déjà une production de 10 tonnes de champignons et plus de 8 tonnes d'endives.

Pariant sur une demande croissante de consommation en bio et en local mais aussi de sensibilisation à l’environnement, des productions agricoles originales se multiplient depuis six ans dans des lieux souvent insolites de l’agglomération bordelaise. Quel est le visage de cette nouvelle agriculture urbaine ? Sur quels modèles économiques tablent-ils ? Premier volet de notre série d’articles consacrés aux acteurs émergents de cette agriculture atypique.

Sur les 27 communes de la métropole bordelaise, se sont aujourd’hui plus de 5000 ha qui sont dédiés véritablement à une production agricole : des céréales, du maraîchage, des vignes comme à Pessac-Léognan, d’importantes fermes laitières à Pessac et Ambés... « Cela représente au total 176 exploitations, mais cette production alimentaire reste très minime sachant qu’en Gironde, ce sont 250 000 ha qui sont dédiés à la culture agricole. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’agriculture urbaine puisse nourrir la ville », pose Laurent Courau, directeur délégué à la chambre d’agriculture de Gironde.

Au-delà de ces productions traditionnelles, émergent cependant depuis le milieu des années 2010, des formes d’agriculture en milieu urbain et péri-urbain dont les contours restent encore flous par rapport à une activité conventionnelle. « Pour nous, la différence se fait surtout par rapport à des lieux de production atypiques tels que des caves ou des toits, le recours à des technologies alternatives, sur des produits tels que les algues, les micro-pousses, les champignons…Toutes ces initiatives n’en sont encore qu’au balbutiement et d’ailleurs bien souvent échappent à la chambre d’agriculture, beaucoup de ces acteurs n’étant pas répertoriés comme éleveur ou agriculteur », précise Laurent Courau.

Une dizaine d’acteurs dans la métropole bordelaise

Alors qu’en France, notamment en Ile-de-France, dès le début des années 2000 l’agriculture urbaine se déploie, dans l’agglomération bordelaise, Terres d’Adèle, ferme maraîchère participative, ouvre le ban, dès 2008, en s’implantant à Bacalan puis Pessac. Plus tard, vers 2013, Nature et Potagers, basée à Bègles, propose la conception de mini-potagers ou aménagement comestibles hors sol et en permaculture. Dans la même veine, le bureau d’études Akebia, spécialisé dans la conception d’écosystèmes nourriciers, voit le jour en 2016 investissant des lieux aussi insolites que des espaces commerciaux, les terrasses-toits d’entreprises, des coursives d’hôtels… Sous un statut associatif, le Conservatoire du goût à Floirac, depuis 2018, allie préservation de semences paysannes à la vente de leur production à des restaurateurs et particuliers.

D’autres optent pour des formes plus innovantes. A la fin des années 2010, le site de Darwin centralise ainsi des initiatives expérimentales telle Urban Algae une ferme de micro-algues dépolluantes et une première cave à pleurotes, qui par la suite migrera dans les tréfonds de la Cité mondial du vin, puis aujourd’hui dans un bunker de Bacalan. Dans le bas Lormont, la ferme Pauline de la société Les Nouvelles Fermes se lance en 2019 dans l’aquaponie, écosystème entre culture de végétaux et élevage de poissons. La société Kanopée Koncept, prestataire de services, quant à elle, investit le champ de l’hydroponie, soit une technique de production hors-sol où les plantes sont élevées dans un liquide nutritif. A Bègles, une association se spécialise, elle dans les micro-pousses de moutardes, petits pois, radis…très riches en nutriments, pour une clientèle de restaurateurs et de particuliers. Implantée il y a seulement un an et demi, la Cave agricole de Cyploponics assure d’ores et déjà une production annuelle de 10t de champignons et de 8 à 10 t d’endives dans les caves d’une résidence Aquitanis de Floirac.

La ferme de Pauline, une ferme expérimentale de 1000 m² située à Lormont. (Photo : Les Nouvelles Fermes)

Prix du foncier, flou administratif, adaptation à un bâti...

Si ces initiatives ne cessent de fleurir, ces formes émergentes de l’agriculture urbaine, constituent-elles pour autant un eldorado ? Selon un rapport de l’agence d’urbanisme A’Urba, paru en juin 2020, le bilan reste encore mitigé : « Des initiatives ont été abandonnées, des nouvelles ont émergées, certains ont été stoppés ». Les obstacles à ces installations sont nombreux. Le coût du foncier en milieu urbain reste l’un des principaux obstacles pour assurer la rentabilité d’un projet, mais pas seulement. Entrent en jeu des questions  de portance dans le cas d‘un bâtiment, de normes de sécurité, de flous administratifs de ces formes d’agriculture hybride produisant peu et sur de petites surfaces, sans compter les aléas politiques comme le cas de l’abandon de la Jallère ou judiciaires. Pour A’Urba, « ces différents critères opèrent un vrai tri ».

De la start-up de l’ESS à l’association

De fait, celles qui survivent adoptent des formes multiples : start-up de l’Économie Sociale et solidaire, SAS agricole, entreprise unipersonnelle EURL, associations…Chacune activant des ficelles économiques différentes. Ne nécessitant pas de grand site de production et d’investissement foncier, les sociétés dédiées à de la conception « clé en main » de potagers, jardins ou serres intégrés à des projets immobiliers, tirent leur épingle du jeu ; les promoteurs témoignant actuellement d’un engouement pour ces aménagements paysagers constituant une plus-value immobilière ou sociale. D’autres, davantage sous un statut associatif, de par leur action de sensibilisation à l’agriculture et à l’environnement, tablent sur le soutien des pouvoirs publics, le bénévolat, le crowfunding…. Pour assurer leur rentabilité, certains négocient des partenariats ou des tarifs de location très modérés, notamment dans le cas d’utilisation de lieux inusités, tablent aussi sur l’absence parfois totale d’intermédiaire dans la vente de leurs produits en circuit-court, sur l’effet marketing d’une production hyper-localisée et originale. Des partenariats sont passés également pour des prêts de locaux, avec un retour sur investissement pour le propriétaire grâce à la vente des premières productions…

L'exploitation agricole laitière "La Ferme de Tartifume", à Pessac (Photo: La Ferme de Tartifume)

Des fonctions avant tout sociales, éducatives et environnementales

Cependant, selon le rapport de A’Urba, rares sont les acteurs vivant uniquement de leur production, « les rentrées supplémentaires sont générées par des activités de sensibilisation ou d’éducation à la nature ». Tout l’intérêt de fait de ces nouvelles agricultures urbaines est d’être tourné vers les ressources offertes par la ville et inversement de lui en offrir, d’assurer aussi au-delà d’une dimension éducative, une fonction environnementale : plus de biodiversité, moins de transport et de pollution, valorisation des déchets possibles, mise en valeur de terrains pollués…. Pour Laurent Courau, de fait, la durabilité économique de ces nouvelles agricultures interroge. « La rentabilité paraît peu probable compte tenu des coûts du foncier en ville si ce n’est par un soutien des pouvoirs publics. Se jouent en effet dans ces initiatives surtout des enjeux pédagogique et de société ».

Découvrez tout au long de la semaine, à travers notre dossier, les différentes formes de cette agriculture urbaine insolite à travers des acteurs tels que Les Nouvelles Fermes, La Cave Agricole et Akebia.    

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