Alimentation en Gironde : autonomie et indépendance, un double défi - Premium

Si la Nouvelle-Aquitaine est la première région agricole française, le département de la Gironde ne compte, lui, que 272.000 hectares de surface agricole utile. Soit à peine plus que les besoins alimentaires de la seule métropole bordelaise. Surtout, 44% de ces terres sont destinées à la production viticole. Mais alors, quels modèles sont à développer – ou inventer -, pour garantir une plus forte autonomie alimentaire ? Pour Patrick Papadato, vice-président de Bordeaux Métropole chargé de la résilience alimentaire, « il faut travailler, non pas sur l’autonomie car elle ne sera pas possible à l’échelle du territoire, mais sur une politique développée avec les autres territoires ». L’élu cite en exemple des tomates de Marmande, à 86 km de Bordeaux, qui arrivent au Port de la Lune… Après être passées par le marché de Rungis. « Il y a toute une réflexion à mener pour mieux organiser ces filières, éviter de tels déplacements de produits. C’est tout l’enjeu du MIN [NDLR, marché d’intérêt national] de Bordeaux-Brienne et de son agrandissement futur – permettre de mieux intégrer ces nécessités. »Patrick Papadato souligne aussi le besoin, pour la métropole, d’avoir de meilleurs outils de transformation - légumeries ou conserveries - pour permettre aux producteurs d’écouler leurs surplus de produits au plus près du MIN. « C’est essentiel, surtout pour la restauration collective ! Pour l’instant, ces produits sont transformés en dehors de la métropole. Mais en les rapprochant, cela pourrait profiter notamment au SIVU [NDLR, la cuisine centrale de Bordeaux Mérignac, qui préparait l’année dernière plus de 23.000 repas par jour]. » Un besoin d’infrastructures que constate aussi Nathalie Corade, maître de conférences en économie à Bordeaux Science Agro. La chercheuse, spécialiste de « l’agriculture de proximité et des territoires d’ici et d’ailleurs », va même plus loin. « Le modèle de la région Nouvelle-Aquitaine n’est pas résilient car il manque des industries de première transformation. Il y a certes pas mal d’outils, qui donnent l’illusion d’une abondance d’éléments pour faire de l’alimentation sur le territoire, mais de là à parler de durabilité et de résilience, on peut en discuter. Aujourd’hui une bonne partie de ce qui est produit et transformé n’est pas fait pour la Nouvelle-Aquitaine, et une bonne partie de ce qui la nourrit ne vient pas d’ici. » Des modèles innovants de fermes urbaines S’il faut compter sur un meilleur maillage des territoires, ainsi qu’une coopération interdépartementale, il faut aussi, en Gironde, préserver la production. Selon un récent diagnostic sur la résilience alimentaire, commandé par la Ville de Bordeaux, la Gironde comptait au printemps 2022, 6.300 fermes. Dont 146 sur la métropole, contre 176 dix ans plus tôt. « C’est vrai, le nombre d’exploitants a diminué mais il y a de l’espoir, relativise Patrick Papadato. On constate une volonté de toutes les communes de travailler sur l’alimentation, l’agriculture. Et on se retrouve avec une dynamique de territoire ! » Ainsi, sur la rive droite, le Grand projet des villes qui rassemble Bassens, Lormont, Cenon et Floirac, compte plusieurs acteurs de l’alimentation, de la production à la distribution. Notamment La cave agricole qui cultive dix variétés de légumes et champignons, et la Ferme de Pauline, première ferme en aquaponie de la Métropole. Deux figures de proue de ce que l’on nomme l’agriculture urbaine, et qui donnent un aperçu de ces nouveaux modèles qui émergent. La Ferme de Pauline produit chaque année près de 20 tonnes de produits frais et 2 tonnes de poissons. Deux nouveaux sites sont aujourd’hui en cours de conception : l’un à Mérignac, d’une superficie de 5.000 m², l’autre sur le toit de la base sous-marine de Bordeaux, de 2.000 m². « Il existe plein de formes d’agriculture urbaine qui vont permettre d’avoir une production agricole de manière un peu plus durable, tout en améliorant la qualité des aliments, analyse Nathalie Corade. Ça ne suffira pas à nourrir toute la population, pour autant il faut laisser la place à ces modèles, car il y a de la place pour tout le monde. À Bordeaux Science Agro, nous sommes très sollicités pour travailler sur l’installation de ces fermes de deux ou trois hectares en milieu urbain. » Selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture datant de 2021 en se concentrant sur des productions à rendement rapide comme les légumes ou les champignons, « les fermes urbaines peuvent être jusqu’à 15 fois plus productives que les exploitations en zone rurale ». « C’est par le bas que les choses changent » Inventer de nouveaux modèles, innover… En 2022, l’agroalimentaire n’échappe pas à la startup nation » d’Emmanuel Macron. En atteste La Ferme Digitale, association française qui promeut « l’innovation et le numérique pour une agriculture performante, durable et responsable ». Qu’elles soient dans le secteur digital ou non, les jeunes pousses se multiplient, et notamment en Gironde. À l’instar d’Ekylibre, qui facilite via sa plateforme l’administratif et la gestion des exploitations agricoles, ou Superproducteur, qui accompagne des professionnels dans la transformation de leurs produits, directement à la ferme. Pour Nathalie Corade, cette jeune génération est salutaire. « C’est par le bas que les choses changent, ce sont les startups qui auront les idées de demain. En même temps, il ne faut pas s’étonner que ça aille lentement, au coup par coup, de manière expérimentale. C’est agaçant car parfois sur le terrain, on nous dit ‘ah, mais regarde, c’est un petit projet !’ Oui, mais ils essayent. Et il faut les accompagner. Aujourd’hui quand une entreprise un peu innovante se crée, et que c’est risqué, les banquiers se retirent, les techniciens qui les accompagnent ne sont pas très partants – on le voit sur des projets de micro-ferme. Résultat, ça fonctionne ou ça crève. » Patrick Papadato et Nathalie Corade partagent tous deux un avis : la transformation des modèles agricoles et alimentaires, français comme girondins, prendra du temps. Depuis 2017, Bordeaux Métropole s’est dotée d’un Conseil consultatif de gouvernance alimentaire durable (CCGAD), regroupant les acteurs du territoire concernés. Après l’avoir repris en 2020, Patrick Papadato présentera en conseil métropolitain, d’ici la fin de l’année, une stratégie de résilience alimentaire et agricole (SRAA). Un outil politique qui donnera les grandes orientations du territoire. Et une première étape, car pour Nathalie Corade, « on ne pourra rien changer sans volonté politique ». Sur le sujet, voir aussi notre dossier en cinq épisodes : Comment l'agriculture investit la ville ?

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